Sunday, February 28, 2021

Maison Marcel Déco

Moi jeu.

Repérée sur les réseaux : Lysiane Maison Marcel, la créativité en

Jean Paul Gaultier débat avec lui-même et se livre pour nous à une auto-interview espiègle, quelques jours avant l’ouverture de l’exposition qui lui est consacrée au Grand Palais, à Paris, à partir du 1er avril 2015.

Jean Paul Gaultier. - Es-tu fier d’être déjà dans les musées ?
Jean Paul Gaultier. - Mais oui, c’est excitant, joyeux même. Quand Nathalie Bondil, directrice générale du Musée des Beaux-Arts de Montréal, et Thierry-Maxime Loriot, son commissaire, m’ont proposé l’exposition « Jean Paul Gaultier » (1), j’ai compris qu’on allait s’amuser. Que ce ne serait ni solennel ni institutionnel. Je voulais surtout que ce soit vivant. Il y a donc des mannequins qui parlent suivant un procédé technologique novateur et des choses plus intimes de moi. Par exemple, je montre comment je fais une mise en plis à ma grand-mère. (Rires.)

Moi jeu.

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L’exposition a été vue par près d’un million et demi de personnes à travers le monde, et ça n’est pas près de s’arrêter puisqu’elle arrive à Paris. JPG, tout le monde l’aime. C’est bon pour ton ego ?
Je n’en reviens pas ! En même temps, je ne te cache pas que si j’ai fait ce métier, c’était pour être aimé. J’étais un peu rejeté à l’école. Je raconte toujours cette histoire : ma grand-mère m’avait laissé regarder le nouveau spectacle des Folies Bergère à la télévision ; le lendemain, en classe, très inspiré, je dessine une femme avec des plumes ; l’institutrice me fait me lever, me colle un coup de règle sur les doigts, m’épingle mon croquis dans le dos et me fait faire le tour des classes. Il s’est alors produit l’inverse de ce qu’elle avait prévu. J’ai vu des sourires joyeux se dessiner sur les visages des écoliers, et tous sont venus me demander de leur faire un dessin. Ce jour-là, j’ai compris que ma différence pouvait aussi apporter autre chose que du rejet.

Te considères-tu comme une figure tutélaire de la France, comme Serge Gainsbourg, Yves Saint Laurent ou Françoise Sagan  ? La journaliste Marie-Dominique Lelièvre, qui a écrit leur biographie, disait : « Gainsbourg, c’est le père pervers ; Sagan, la petite sœur foldingue ; Saint Laurent, l’oncle fragile. » Et toi, tu serais qui  ?
L’enfant terrible ! Même si j’ai vieilli. Mais la vieillesse ne me fait pas peur.

Mais tu n’en as pas assez qu’on t’appelle l’« enfant terrible de la mode »  ?
Non. Au départ, je pense que c’est parce qu’on ne savait pas trop comment me qualifier qu’on m’a baptisé ainsi. Mais je trouve cette expression plutôt sympathique. Et puis, c’est vrai, ça donne la sensation de faire partie d’une famille.

Tu étais à la cérémonie des César pour remettre le césar du meilleur costume. Tu as aussi été membre du jury du Festival de Cannes en 2012. Le cinéma, c’est ta seconde passion  ?
Mais oui, tu sais bien que si j’en suis là aujourd’hui, c’est grâce au cinéma. J’ai voulu faire ce métier après avoir vu Falbalas, avec Micheline Presle. Ce film décrit si bien le milieu de la haute couture parisienne – Jacques Becker, le réalisateur, était très ami avec Marcel Rochas, qui lui a donné toutes les clés de ce monde – sans être ennuyeux.

Tu prendrais qui pour jouer ton rôle dans un biopic  ?
Je prendrais un très beau  ! (Rires.) Reda Kateb, par exemple. Bien qu’il soit plus élégant que moi. (Rires.) Franchement, il joue divinement bien et il est très intelligent.

Ton ex-directrice de couture, Catherine Lardeur, disait de toi : « Il est excentrique, mais aussi très classique. » Tu ne serais pas un peu « bipolaire »  ?
Pas qu’un peu, totalement  ! (Rires.) D’ailleurs, ma dernière collection couture le montre bien. J’ai fait des robes bipolaires, fourreau d’un côté et bal de l’autre. J’ai toujours aimé le morphing, passer d’une humeur à une autre, du masculin au féminin. J’ai également dirigé pendant six ans la création du prêt-à-porter chez Hermès – une maison qui était aux antipodes de ce que j’étais mais que j’aimais beaucoup.

Toi qui n’as pas fait d’école, comment as-tu appris le métier de couturier  ?
D’abord avec les grandes journalistes de mode, comme Nicole Crassat, Claude Brouet ou Melka Tréanton. Je lisais leurs critiques des collections et leurs conseils de style. Mais attention, j’ai toujours eu conscience qu’un vêtement devait être bien coupé. J’ai tout appris quand j’ai commencé à travailler chez Pierre Cardin. Saint Laurent, que j’admirais énormément, m’a aussi beaucoup influencé. Il faisait des classiques, mais sa façon de les traiter était très moderne, en conformité totale avec l’époque.

Tes premières créations  ?
À 7 ans, j’ai réalisé mon premier sein conique sur mon ours Nana – mes parents ne voulaient pas que j’aie une poupée. J’ai aussi fait des jupes pour lui en perçant des trous au milieu des napperons de ma grand-mère.

C’est quoi, le trait d’union entre Jean et Paul  ?
Il n’y en a jamais eu  ! Ta question me fait penser à Denise Glaser, que j’adorais. Un jour, dans son émission « Discorama », elle m’a demandé : « Jean Paul, d’accord, mais Gaultier, pourquoi  ? » (Rires.)

As-tu été triste de cesser le prêt-à-porter  ?
Pas du tout. Au contraire. Ça fait trente-neuf ans que j’ai ma maison. Je l’ai connue en étant totalement maître de chez moi, libre de mon temps et des contraintes du marketing. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, il y a trop de collections (cruise, pre-fall…), trop de marques et… pas assez de clients. Et encore, les personnes qui ont les moyens d’acheter des vêtements, on les leur offre… Donc ça suffit. Il faudrait réinventer un système totalement différent. Moi, je n’ai plus l’âge de reconstruire. Je préfère désormais me concentrer sur la couture et m’exprimer à travers elle. Et continuer à m’amuser avec de nouveaux projets. En ce moment, par exemple, je crée des costumes pour la Comédie-Française (2), je vais peut-être aussi en faire pour une revue – mon rêve de gamin. J’ai aussi des projets de capsules avec une enseigne japonaise.

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Comment es-tu arrivé à la haute couture  ?
Un jour, j’ai été appelé par Bernard Arnault. Je pensais qu’il allait me proposer Dior, mais en fait il s’agissait de reprendre Givenchy. J’ai refusé, car, contrairement à Dior, Chanel, Cardin ou Saint Laurent, cette maison ne me faisait pas rêver. Mais l’idée de faire de la haute couture commençait vraiment à me titiller. En 1997, je me suis lancé tout seul dans une première collection couture. Nicole Kidman m’a acheté un tailleur, et une future mariée m’a commandé une robe marin tout en dentelle. Alors j’ai continué…

Ton regard sur la mode en 2015  ?
Qui vend vraiment des vêtements aujourd’hui ? On sait bien que ce sont les parfums ou les sacs qui font tourner la machine. Et pour moi, l’accessoire, c’est… accessoire.

Et le luxe  ?
Ce serait de pouvoir s’acheter encore des vêtements. (Rires.) Pas que du parfum…

Es-tu nostalgique des années 1980  ?
Sûrement, inconsciemment. D’abord, plein de gens que j’aimais ont disparu. Et il y avait une telle liberté…

Si l’on te proposait un voyage en arrière dans le temps, à quelle année t’arrêterais-tu  ?
1975. L’année où j’ai connu Francis Menuge, mon compagnon, mon associé. Un an et demi après, je commençais ma première collection. Il était brillant, créatif. Il a cru en moi. Il a été mon moteur. Car moi, je n’ai jamais eu de plan de carrière. J’étais très timide.

Pour ceux qui n’ont pas connu les années 1980, fais-moi un point sur ta chanson How to Do That.
C’est Francis qui m’a poussé à la faire. J’ai vendu trente mille exemplaires, quand même  ! (Rires.) Tout est parti, en 1989, d’une interview que je faisais pour une télé anglaise. Un producteur de musique m’a envoyé une maquette où il avait enregistré ce que j’avais dit en scratchant les dialogues. Ça donnait : « Asking to myself  ? How to do that. I think I did, I think I should. » C’était vraiment de la house couture, et le clip était génial.

Revenons sur ta carrière. Pourquoi t’es-tu entiché de la marinière  ?
Ça s’est fait un peu par hasard. Petit, j’en portais. Plus tard aussi, je me suis acheté aux puces des marinières de la Marine française. J’ai toujours trouvé ça graphique. Et puis, un jour, j’ai dessiné des pulls marin pour un fabricant italien qui est devenu mon licencié par la suite. Il n’a pas critiqué mes modèles, comme l’aurait fait un fabricant français qui m’aurait sans doute dit : « Ça va coûter trop cher, c’est pas réalisable… » Lui a foncé tête baissée, car il avait le sens du beau qui permet de vendre.

Et comment t’est venue l’idée saugrenue de faire un parfum dans une boîte de conserve  ?
En ouvrant une boîte de conserve pour chat. Je l’ai vidée, j’ai regardé et, soudain, j’ai vu un bracelet africain. Je l’ai plongé dans l’argent, et en 1979 c’est devenu un bijou pour ma collection high-tech, puis un packaging de parfum.

Le Blond Ambition Tour de Madonna – avec son corset chair à seins coniques – t’a aussi valu une notoriété planétaire. C’était la grande époque JPG dans les années 1990  ?
C’était en tout cas une collaboration assez unique dans l’histoire de la mode. Madonna et moi, on disait la même chose. Elle, dans ses chansons  ; moi, dans mes vêtements. On parlait de femmes fortes, libérées, presque des machos. Des femmes qui jouaient avec la séduction mais sans la subir. Juste parce que ça les amusait.

Te souviens-tu de ton premier défilé, en octobre 1976, au planétarium du palais de la Découverte  ?
Comme j’avais mis mon défilé à la même heure que celui d’Emmanuelle Khanh, et que tout le monde allait la voir à l’époque, j’ai eu toutes celles qui avaient été refoulées de chez elle  ! (Rires.)

Tu as fait porter des jupes aux garçons, des costumes de mec aux filles… Mode ou revendication  ?
Les deux. J’ai toujours milité pour l’égalité des sexes. Pourquoi refuser la masculinité aux femmes et la douceur ou la tendresse aux hommes  ? J’ai connu l’époque où un homme devait être comme John Wayne, ne pas pleurer… Puis cela a commencé à bouger avec les rock stars androgynes comme Mick Jagger ou David Bowie. Et aussi, dans un autre genre, avec Polnareff – le premier à montrer ses fesses…

J’ai vendu quand même 30 000 disques, mais tout a commencé avec une interview. C’est Tony Mansfield qui a eu l’idée de remixer en musique une interview que j’ai donnée à la télévision anglaise. House couture.

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Blond Ambition Tour, 1990. Il existait une synergie parfaite entre nous. Madonna savait ce qu’elle voulait tout en me laissant une liberté totale. Mais c’est mon nounours Nana qui a eu les premiers seins coniques.

Deux artistes que j’admire. Ils ont aussi fait l’affiche de l’exposition au Grand Palais. Ils subliment les gens.

Ce film (Kika, NDLR) marque ma première collaboration avec Pedro Almodóvar. J’ai toujours eu la chance de travailler avec les gens que j’admire. Avec Pedro, l’affinité a été immédiate. Nous avons en commun le goût des beautés particulières, des femmes fortes, et une même sensibilité dans le choix des décors et des couleurs. L’idée de poser une caméra sur la tête de Kika – Victoria Abril – venait de Pedro, et j’ai imaginé le costume comme une extension d’elle-même, filmant tout et se déplaçant à cyclomoteur.

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Tu as fait défiler des vieilles, des boulottes, des mannequins d’un jour, des mondaines, des gardiennes d’immeuble, des dames du bois de Boulogne, des religieuses, des rappeuses blacks, des Parisiennes gouailleuses… J’en oublie  ?
Quelques animaux aussi. (Rires.) J’ai toujours pensé qu’il n’y avait pas qu’une seule forme de beauté. On l’aura compris, je suis contre la ségrégation… Vers 12 ans, j’ai vu au cinéma Devine qui vient dîner…, de Stanley Kramer. Après la projection, j’ai demandé à mes parents : « Si moi, j’arrive un jour avec une fiancée noire, quelle sera votre réaction  ? » Réponse : « Si vous vous aimez, c’est très bien. » Des années après, je leur ai présenté Francis… Ils ont eu la même réaction.

Tu as toujours eu aussi des muses singulières…
Oui, Aïtize, Edwige, Farida… Des filles libres, rigolotes, vraiment différentes. Comme moi. J’ai aussi beaucoup aimé Anna Pawlowski, un grand mannequin de Saint Laurent. Elle se mettait du fard rouge sur les yeux, du noir sur les lèvres, elle avait une coupe à la Louise Brooks et marchait pieds nus – un bonheur  !

Tu as des nouvelles de Nabilla  ?
Non, aucune. Mais je ne regrette pas de l’avoir choisie pour défiler. D’abord, elle est renversante physiquement. Et puis je n’aime pas l’acharnement social qu’on a eu sur elle. Elle me fait penser à Brigitte Bardot dans La Vérité, de Henri-Georges Clouzot, entourée de tous ces vieux aigris du Palais de justice qui la condamnent mais qui, en fait, rêvent secrètement de coucher avec elle.

Si l’on devait retenir une seule chose de toi, ce serait quoi  ?
Ma sincérité. À travers mes vêtements, on a pu et on peut toujours me lire.

Tu crois toujours en Dieu  ?
Quand ça m’arrange  ! (Rires.)

Ton plus grand regret  ?
Ne pas avoir assez dit à certaines personnes combien je les aimais. C’est quelque chose que les gens ont besoin d’entendre. Il ne faut pas avoir peur d’exprimer ses sentiments, surtout quand c’est beau et positif.

Et ce que tu ne regretteras jamais  ?
Toutes mes interviews  ! Ça m’a permis d’économiser des années de séances chez un psy  ! (Rires.) 

(1)  L’exposition « La Planète mode de Jean Paul Gaultier. De la rue aux étoiles » a été créée en 2011 par le Musée des Beaux-Arts de Montréal en collaboration avec la maison Jean Paul Gaultier. Elle s’est posée ensuite à Dallas, San Francisco, Madrid, Rotterdam, Stockholm, New York, Londres et Melbourne. Elle arrive à Paris, au Grand Palais, le 1er avril.
(2) Innocence, de Dea Loher, Salle Richelieu, du 28 mars au 1er juillet.

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